Aller au contenu

Moi et mon chat

Par Marie-Ange Guillaume

J’habite chez mon chat. Il me sous-loue un oreiller, mais tout le reste lui appartient: les plantes vertes, la poubelle, les piles de pulls dans l’armoire, le canapé, les genoux des copains sur le canapé, le frigo, la gamelle du chien, le fax, l’ordinateur et la souris (évidemment).

chat noir et blanc couché

En fait, mon chat, c’est une chatte. Mais chaque fois que je dit « ma chatte » devant un monsieur (normal, pas spécialement débile), je récolte une plaisanterie raffinée. Donc, je préfère dire: « j’ai un chat, c’est une chatte. »

Elle a six mois et elle est décorée de taches noires et blanches barbouillées au hasard. C’est un grand prédateur. Entre deux barquettes au lapin, elle attaque la première antilope qui passe dans la pampa – son singe en peluche – et la trimbale fièrement sous le nez du chien, histoire de lui montrer qui est le chef. Le chien s’en fout. Il a seize ans, il en a vu d’autres, des chefs. Vexée, elle teste sa danse de séduction la plus croustillante: sautillements de travers, poil hirsute, queue en Z.

ça interloque le chien. Le front bas, la truffe en point d’interrogation, il la regarde passer et repasser. Quand il se décide enfin à émerger de sa corbeille pour voir de quoi il retourne, elle lui crache à la gueule et lui pique sa place. J’appelle ça une allumeuse.
Quand le chien est d’humeur interactive (cul en l’air, pattes en éventail, couinement optimiste), elle lui jette un oeil morne – jamais vu ce type ni d’Eve ni d’Adam – et se range les pattes sous le menton dans la position millénaire du chat, dite « rien à cirer » – qui impressionnait déjà beaucoup les Égyptiens.

Chat couché sur canapé

Le chien bluffé mais pas découragé, repart le nez au vent et lui apporte l’antilope. Là, elle lève la patte arrière gauche et entreprend de se lécher le trou de balle. Le débat est clos.
Quand elle était petite (15 cm sans la queue), elle faisait la foire toute les nuits, de 2 heures à 5 heures du matin. C’est fou, l’énergie que peut déployer un truc de 15 cm quand il a décidé de pulvériser un appartement. Maintenant, elle fait ses nuits jusqu’à 6h20 – heure à laquelle, s’inquiétant de me voir gésir comme une chose, elle me saute sur l’estomac et me plonge le nez dans l’oeil.

Quand elle a bouffé, elle retourne dormir dans un coin secret où personne ne peut la déranger – grosse supériorité du chat sur l’homme.
A 15 cm, elle s’endormait n’importe où : dans une cuiller ou sur le chien. Elle l’escaladait par la fesse droite et s’endormait dessus. Lui, pétri d’inquiétude et d’instinct paternel, n’osait plus bouger une moustache. Jusqu’au moment où il réalisait qu’elle n’était pas sa fille. Il se secouait et elle tombait comme une vulgaire puce, l’air outré.
Elle a des goûts artistiques. Chaque jour, elle met tous les cadres de travers sur les murs. Au début, je les remettais droit, mais j’ai fini par renoncer.

Quand elle est contente, elle roucoule.
Quand elle est contrariée elle grince.

Hier, je l’ai contrariée. J’ai tendu un bout de banane au chien et elle a voulu le lui piquer. Elle ne se méfiait pas: tout ce qu’elle avait goûté jusque-là lui plaisait, y compris les endives et la crème antirides à deux milliards le pot. Mais la banane, çà n’allait pas. Elle a pris l’air froissé que prend généralement une baronne quand vous pétez à table, et elle a disparu dans un trou obscur d’où j’ai mis deux heures à l’extraire. Une fois sortie, elle est venue défiler devant moi avec son antilope et j’ai bien vu qu’elle était le chef.

En fait, le sens de l’humour lui fait cruellement défaut.Elle ne supporte pas qu’une mouche s’envole sous son nez. Là, elle peut escalader n’importe quoi, y compris un bouquet de fleurs dans un vase Ming. Après, elle m’en veut: tout çà – la mouche ratée, le Ming en morceaux et la flaque sur le parquet -, c’est ma faute. En revanche, quand elle a passé la moitié de la nuit à gicler au plafond et me retomber dessus, elle ne m’en garde pas rancune. Elle vient s’aplatir sur ce qui me sert normalement de visage – qu’elle a l’air de prendre pour un pouf – et ronronne comme une bourrique.
J’asphyxie un peu mais je me tais: je sais qu’un chat peut changer de maison s’il est mécontent du service. Et je ne voudrais surtout pas qu’elle s’en aille.  

Nos Autres Articles

Autres

La Maison Qui Miaule

Avec chacun leur pitoyable histoire, pour la plupart «récupérables », tous – ô combien – attachants, ils ne peuvent compter que sur nous !
Que pouvons-nous pour eux ?

lire plus

LES PASSAGERS DE LA PLANETE TERRE

Texte de François CAVANNA, Les passagers de la planète Terre

Extrait de Cavanna à Charlie Hebdo, 1969-1981, Je l’ai pas lu, je l’ai pas vu… mais j’en ai entendu causer, éditions Hoëbeke, octobre 2005, 470 pages, 24 euros.

lire plus

LA GLOIRE DU TAUREAU

Texte de François CAVANNA, La gloire du Taureau

Extrait de Cavanna à Charlie Hebdo, 1969-1981, Je l’ai pas lu, je l’ai pas vu… mais j’en ai entendu causer, éditions Hoëbeke, octobre 2005, 470 pages, 24 euros.

lire plus